Le président de la Cofaec (la Confédération française des anciens élèves de l’enseignement catholique), Laurent Grégoire*, est extrêmement investi dans le programme d’aide apportée par la France aux écoles chrétiennes du Liban.OLJ / Par Propos recueillis par Zeina SALEH KAYALI, le 21 octobre 2020 à 00h00« Il y a une véritable urgence à développer l’enseignement à distance », affirme Laurent Grégoire au sujet des écoles libanaises.
Quelle est la genèse de ce mouvement d’aide mis en place en faveur des écoles chrétiennes libanaises ?
Tout a commencé par les alertes lancées en mai : d’une part la lettre ouverte au président de la République libanaise écrite par le secrétaire général de l’enseignement catholique libanais, le père Boutros Azar, qui décrivait la situation financière catastrophique des écoles chrétiennes du Liban et qui annonçait qui si rien n’était fait, 80 % des écoles risquaient de ne pas rouvrir à la rentrée 2020 ; puis, dans le même sens, la déclaration du patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, et de l’ensemble des tutelles des écoles chrétiennes (qui se répartissent entre écoles patriarcales et congréganistes), et, en parallèle, l’annonce par le ministre libanais de l’Éducation de l’époque faisant part des graves difficultés financières des écoles publiques (30 % des élèves au Liban). 2
Cela vous a poussé à réagir ?
J’ai personnellement des liens très étroits avec le Liban : de 1978 à 1980, j’ai aidé au redémarrage de l’ESIB où j’ai enseigné dans une période bien difficile, et j’y suis retourné de nombreuses fois depuis, y compris en famille. Ces alertes m’ont immédiatement sensibilisé et j’ai échangé avec les responsables de l’enseignement catholique en France et au Liban. Malheureusement, la FAEC, Fédération libanaise des anciens élèves des écoles catholiques, est actuellement en sommeil, or ces derniers ont un rôle important à jouer pour aider les établissements qui les ont éduqués.
Quelles ont été les premières actions ?
En premier lieu, les responsables politiques français ont été informés de ce risque pour les écoles francophones en général, et les écoles chrétiennes en particulier. D’où les deux annonces d’aides financières annoncées depuis : le gouvernement français a débloqué 15 millions d’euros pour les écoles homologuées et conventionnées, soit une cinquantaine d’écoles, dont une trentaine d’écoles chrétiennes.
Par ailleurs, une aide de deux millions d’euros est apportée dans le cadre du fonds annoncé par le président Emmanuel Macron pour les écoles chrétiennes. Cette aide, gérée par l’OEuvre d’Orient, va concerner une bonne centaine d’écoles. Un complément d’aide est aussi apporté par le Comité de sauvegarde des écoles du Liban, qui regroupe plusieurs ONG françaises à l’initiative de l’OEuvre d’Orient et avec le soutien de l’enseignement catholique français.
De quelle façon ces aides vont-elles être distribuées ?
Ces différentes aides vont servir à payer des frais de scolarité (comme des bourses) pour les élèves de familles qui ne peuvent pas les payer en totalité. Elles seront directement versées en cash par l’ambassade de France et l’OEuvre d’Orient. Il faut également rappeler que le premier qui s’est mobilisé au moment des alertes, c’est le Saint-Père qui a envoyé des sommes importantes, là encore pour des bourses directement transmises par le nonce apostolique.
Ces aides vont-elles sauver toutes les écoles ?
Malheureusement, certaines ont, à ma connaissance, déjà fermé ou se sont regroupées. Personnellement, je regrette que la priorité n’ait pas davantage été donnée aux écoles les plus pauvres, je pense aux écoles semi-gratuites et aux écoles techniques, dont on sait que le gouvernement libanais n’a pas versé les subsides qu’il leur devait.
Vous avez également engagé d’autres actions ?
Oui, j’ai écrit à tous les responsables des amicales d’anciens élèves d’écoles catholiques en France. Certaines ont réagi, je peux citer l’action des anciens élèves du collège jésuite de Paris qui ont envoyé une aide financière significative pour les trois écoles jésuites de la Békaa.
Ensuite, dans le cadre du secrétariat général de l’enseignement catholique en France, nous avons recensé la bonne quarantaine d’écoles qui avaient ou qui ont des jumelages ou partenariats avec des écoles libanaises. Un certain nombre avaient été créés par l’association Francophonia-Liban, alors présidée par Clotilde de Fouchécour, en organisant des échanges de professeurs. Nous sommes en train de relancer ces partenariats mais aussi de favoriser la création de nouveaux. Dans ce cadre, Louis-Marie Piron, en charge des relations internationales à l’enseignement catholique français, organise début janvier une réunion des écoles catholiques françaises ayant un partenariat avec des écoles libanaises.
Il existe également des jumelages entre diocèses ?
Oui, et nous souhaitons essayer d’élargir l’activité de ces jumelages entre diocèses, au nombre de cinq actuellement, à des jumelages entre écoles de ces diocèses, comme c’est déjà le cas entre les diocèses de Lyon et d’Antélias. J’ai également dressé la liste des 29 jumelages de communes existant entre la France et le Liban et nous allons proposer à ces communes de jumeler leurs écoles, tant privées que publiques.
Vous avez déjà des retours encourageants ?
Oui, les premières réponses le sont. Mon lien avec l’enseignement catholique au Liban et ma connaissance du terrain me permettent de mettre les écoles françaises sur la voie. Une école à Lyon m’a contacté spontanément en dehors de tout jumelage. J’espère voir un développement favorable à ces différents contacts dans les semaines et les mois qui viennent. L’idée est de renforcer ces liens qui existent déjà souvent au niveau des congrégations mais qu’il faut étendre aux laïcs.
Vous êtes un homme précieux pour le Liban !
Je me sens redevable au Liban car, par un décret signé juste avant de finir son mandat, le président Amine Gemayel m’a nommé officier de l’ordre national du Cèdre pour services rendus au Liban. J’essaie, depuis, de mériter cette distinction !
Est-ce que les choses bougent également au niveau mondial ?
Oui, une action est menée par Philippe Richard, le secrétaire général de l’enseignement catholique international qui regroupe tous les secrétariats généraux dans le monde (OIEC), qui est très sensible à la situation du Liban. Il s’agit de montrer la solidarité de tous ces secrétariats nationaux à celui du Liban. On peut également citer l’aide apportée par les congrégations mondiales qui ont des écoles au Liban.
Dans ce contexte, la crise du Covid-19 n’arrange pas les choses…
Loin de là, elle les amplifie de façon dramatique. Il y a notamment une véritable urgence à développer l’enseignement à distance. Je suis très inquiet à ce sujet car dans certaines familles il n’y a pas d’ordinateurs et les enfants doivent suivre les cours sur les téléphones portables de leurs parents. À ma connaissance, l’enseignement catholique libanais est en train de développer un site pour multiplier la possibilité des cours en ligne. 4
Que peut-on faire au Liban pour aider à la concrétisation de cette aide ?
Il est bien sûr souhaitable de relancer la fédération libanaise d’anciens élèves et de créer des amicales d’anciens élèves dans de nombreuses écoles qui n’en ont pas encore. Je pense aussi que, comme ce fut fait en France il y a un certain temps, il faut passer la main à des laïcs bénévoles (parents et anciens) pour aider dans les écoles, notamment pour la gestion.
En conclusion, j’émets le vœu que cette crise cataclysmique que connaît actuellement le Liban soit au moins l’occasion d’affermir une nouvelle fois la fraternité entre la France et le Liban.
*Secrétaire général au niveau européen et, au niveau mondial, représentant auprès de l’Unesco.